Le monde est divisé en deux: d’un côté les Anglo-saxons et de l’autre les êtres humains !
Ainsi s’exprimait mon ami Adnan Azzam, écrivain syrien, à Damas ...
© Christian Wiyghan Tumi, archevêque émérite de Douala, Promu cardinal de l’Église catholique en 1988 par le Pape Jean Paul II
Si la situation sociopolitique est loin d'être apaisée au Cameroun, le conflit séparatiste cristallise encore toutes les attentions. Dans un entretien accordé à Sputnik, le cardinal Tumi, leader religieux anglophone, revient sur les multiples crises qui déchirent le pays et propose des solutions pour apaiser les tensions.
Né en 1930 dans la région du Nord-Ouest anglophone, Christian Wiyghan Tumi est une figure dont la voix porte au Cameroun au-delà des cercles religieux. À 90 ans révolus, le prélat a vu passer toutes les dates historiques du pays: l’indépendance en 1960, la naissance de la République fédérale du Cameroun le 1er octobre 1961, la fin de l’État fédéral et la création de la République unie du Cameroun le 20 mai 1972, à la suite d’un référendum... jusqu’aux multiples crises récentes qui déchirent son pays.
Depuis le déclenchement du conflit séparatiste en 2016, il invite sans répit le pouvoir de Yaoundé et les séparatistes armés à un dialogue inclusif pour ramener la paix dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest. Promu cardinal de l’Église catholique en 1988 par le Pape Jean Paul II, Christian Tumi est depuis 2009 archevêque émérite de Douala. Dans un entretien accordé à Sputnik, il fait un diagnostic de la situation politico-sécuritaire dans son pays. Il revient, plus particulièrement, sur la question de la succession de Paul Biya, au pouvoir depuis 1982.
Cela fait maintenant plus de quatre ans que le Cameroun est confronté à une crise meurtrière dans le Nord-Ouest et le Sud-ouest. Qu’est-ce qui empêche les choses de revenir à la normale malgré toutes les mesures prises, notamment la tenue du Grand dialogue national auquel vous avez pris part?
Cardinal Christian Tumi: «J’ai déjà rencontré quelques-uns de ces hommes [les séparatistes armés, ndlr] qui sont dans la brousse avec des armes. Aujourd’hui, certains d’entre eux ne savent même plus pourquoi ils luttent. Il semblerait que ceux qui sont aux États-Unis et qui militent pour la création d’un État indépendant [les leaders de la sécession, ndlr] leur aient dit que les Nations unies allaient intervenir et que le conflit se réglerait en une année. Mais ces leaders ne maîtrisent plus la situation.
Cependant, de nombreux combattants commencent à quitter leur cachette. J’en ai déjà reçu quelques-uns ici à Douala, avec le soutien du gouvernement représenté par le Premier ministre, je les ai aidés à réintégrer la société et des centaines d’autres émergent progressivement de la brousse. L’archevêque de Bamenda, qui vient d’être installé, a déjà fait revenir presque 400 séparatistes au Nord-Ouest. J’en ai rencontré en janvier quand j’étais à Kumbo (Nord-Ouest), dans mon village, et leur chef m’a confié qu’il comptait se réfugier au Nigeria. L’une des révélations qu’il m’a faites, c’est que la majorité de ceux avec qui il se trouve sont des Nigérians et qu’il comptait un seul Camerounais dans ses rangs. Depuis que cette crise a commencé, je vais chaque année à Kumbo chez moi pour être vraiment au courant de ce qui se passe.»
Vous avez été vous-même il y a quelques semaines victime d’un enlèvement dans le Nord-Ouest anglophone du pays. Après avoir échangé avec ces défenseurs de la cause séparatiste, pensez-vous que les solutions préconisées jusqu’ici permettront de faire taire les armes?
«L’armée doit retourner dans les casernes et les jeunes séparatistes qui sont en brousse doivent aussi déposer les armes qu’ils portent illégalement pour qu’il y ait la paix. C’est du moins la réponse que m’a donnée une vieille femme qui est restée dans son village depuis le début de la guerre lorsque j’ai sollicité son point de vue. Toutefois, la seule personne capable d’ordonner le cessez-le-feu n’est autre que Paul Biya. S'il décide de faire rentrer l’armée dans les casernes, ce sera la fin.»
Le Cameroun vient d’assister aux toutes premières élections régionales qui viennent parachever le processus de décentralisation sur le territoire. Cette décentralisation est présentée par les autorités comme une des solutions à la crise actuelle. N’est-il pas temps de passer plutôt au fédéralisme réclamé par plusieurs leaders anglophones modérés?
«Nous avons déjà eu l’expérience du fédéralisme pendant onze ans, entre 1961 et 1972. Et cela a marché. C’est la période la plus pacifique que notre pays ait jamais connue depuis la réunification. À l’aune de cette expérience-là, ce que le Président Paul Biya vient de faire [l’accélération du processus de décentralisation, ndlr], c’est un début de solution.
Cette décentralisation peut être une solution si les régions ont tout le pouvoir nécessaire pour gérer les affaires à la base. Cependant, il n’y a aucun système qui marche de lui-même, c’est l’homme qui est au cœur du système et doit le faire fonctionner. Seulement si je suis pour le fédéralisme, je suis contre ceux qui luttent à tout prix pour créer un autre État.»
Dans le pays, de nombreux opposants sont encore emprisonnés pour avoir exprimé leur opinion lors des manifestations et de nombreuses violations des droits de l’Homme sont dénoncées par les ONG. Comment considérez-vous cela?
«Personne ne doit être emprisonné pour son opinion. Une opinion c’est un discours ou une conviction que quelqu’un tient, en respectant l’avis de l’autre. Une opinion reste une opinion, on ne doit jamais mettre quelqu’un en prison à cause de cela, ce n’est pas normal et cela ne fait pas avancer la démocratie.»
Que vous inspire le climat politique actuel au Cameroun?
«Je ne suis pas politicien, je n’ai jamais eu l’ambition d’en être un ou d’avoir un pouvoir politique, mais la vie politique de mon pays m’intéresse et à mon avis, le climat n’est pas sain. Tout n’est pas mauvais au Cameroun, mais on peut améliorer beaucoup de choses si on oublie ses intérêts personnels et que l’on regarde ce qui est objectivement bien pour le pays. Quand nous étions à l’école primaire, on nous enseignait l’amour pour le pays. Est-ce que nous aimons notre pays? Est-ce que nous sommes prêts à faire des sacrifices pour lui? Telles sont des questions que tout le monde devrait se poser.»
Que peut encore le Président Paul Biya face à ces crises protéiformes que traverse le Cameroun?
«Je crois que le Président de la République a fait tout ce qu’il pouvait mais il est difficile de diriger les Camerounais. La corruption est là, malgré un organisme [Commission nationale anticorruption, ndlr] créé pour lutter contre cette gangrène. Je crois que le chef de l’État a déjà épuisé toutes ses possibilités. À vrai dire, si j’étais à sa place, je donnerais ma démission. Chaque fois que j’ai rencontré le Président de la République, je lui ai dit ce que je pensais. Avant qu’il ne soit réélu [en octobre 2018, ndlr], je lui avais dit que si j’étais à sa place, je ne me représenterais plus à une élection pour gérer un pays comme le Cameroun.
Il a besoin d’énergie physique, mais pas seulement parce qu’à cet âge-là [87 ans, ndlr], on est aussi intellectuellement diminué, on n’est plus aussi fin que quand on avait une cinquantaine ou une soixantaine d’années. J’espère que ce mandat est vraiment le dernier pour lui et qu’il commence déjà à confier des responsabilités à d’autres qui sont plus jeunes.»
La question de la succession à la tête du pays revient de plus en plus au centre de l’actualité. Beaucoup d’observateurs et d’acteurs politiques craignent une transition violente. Ces craintes sont-elles justifiées à votre avis?
«Les Camerounais n’aiment plus la violence, personne n’aime la violence. Moi-même, je n’aimerais pas voir l’armée à la tête du pays. Elle peut arriver au pouvoir pour arranger les choses puis revenir à ses missions originelles, c’est-à-dire nous défendre lorsque nous sommes attaqués par un ennemi extérieur. Mais il y a un certain désordre dans pays, j’ai l’impression que tout le monde fait ce qu’il veut, que les lois ne sont plus suivies. Si beaucoup de personnes contestent les lois électorales, pourquoi avons-nous peur de les réformer pour que tout le monde en soit satisfait?»
Africa24monde avec Regard Sur l'Afrique Par Anicet Simo