Annoncer ou écrire que l'Algérie peut couper les livraisons de gaz à l'Espagne relève soit de la stupidité, soit de la désinformation intéressée, soit des deux.
L'Algérie ne peut ni ne veut suspendre de quelque manière que ce soit les livraisons de gaz à l'Espagne via le gazoduc MEDGAZ. Dire le contraire, c'est provoquer la panique du gouvernement, des opérateurs économiques et de la population espagnole.
Il y a au moins six raisons à cela :
- La vente d'hydrocarbures sur le marché international est la principale et presque unique source de devises de l'Etat algérien (98% de ses revenus), avec laquelle il finance ses budgets, fait fonctionner l'administration et alloue des fonds pour la croissance. Dans le même temps, les "pétrodollars" permettent le réarmement de l'Algérie, la course aux armements contre le Royaume du Maroc voisin, l'enrichissement licite et illicite des élites et des castes politiques et militaires. Les plus de 300 hauts responsables de l'Etat (généraux, ministres, chefs de gouvernement, hommes d'affaires, financiers et PDG d'entreprises publiques) actuellement en prison se sont enrichis avec l'argent de la vente des richesses du sous-sol. Or, pour sécuriser leurs marchés, il est indispensable d'être crédible et de donner confiance aux acheteurs et aux investisseurs. Si le régime algérien utilisait "l'arme énergétique" pour faire chanter l'un de ses clients, il montrerait qu'il n'est pas fiable et le marché le sanctionnerait. Le régime algérien le sait et ne tombera pas dans ce piège. Il ne fait que menacer pour intimider.
- Aucun des contrats signés par l'Algérie pour la vente de ses hydrocarbures ne contient une quelconque clause permettant de "conditionner l'approvisionnement à des motifs politiques". Aucune clause du contrat signé entre Sonatrach et la société espagnole Naturgy ou Repsol ou toute autre société ne permet à Alger de rompre unilatéralement le contrat pour des raisons politiques.
- De même, le contrat entre Sonatrach et Naturgy ne prévoit pas la possibilité d'être soumis à d'éventuels changements d'actionnariat. Les compagnies pétrolières algériennes et espagnoles peuvent modifier leur actionnariat sans que cela n'affecte la validité du contrat.
- Depuis la nationalisation des hydrocarbures en février 1971, jusqu'alors aux mains de la France, l'Algérie n'a jamais utilisé unilatéralement les contrats signés avec les multinationales comme moyen de chantage politique. Seule "l'arme du pétrole" a été utilisée collectivement par les pays arabes exportateurs de pétrole après la guerre du Kippour entre Israël et le monde arabe en octobre 1973, mais collectivement, en bloc, et non individuellement par chaque pays pris isolément. Il est vrai qu'un nombre important de litiges contractuels entre l'Algérie et ses clients étrangers ont été portés devant des tribunaux d'arbitrage internationaux, le client et le producteur se voyant parfois attribuer le contrat. Mais il s'agit de litiges contractuels et non de ruptures d'approvisionnement stratégiques.
- L'arrêt des livraisons de gaz algérien à l'Espagne via le gazoduc Maghreb-Espagne n'est pas un précédent qui soutient la thèse d'un scénario de rupture d'approvisionnement. L'Algérie a pris unilatéralement la décision de ne pas renouveler le contrat gazier qui la liait à l'Espagne et au Portugal via le gazoduc Maghreb-Europe, qui traversait le Maroc sur plusieurs centaines de kilomètres. Le contrat signé par l'Algérie avec l'Espagne et le Portugal expirait le 31 octobre 2021, et Alger ne l'a pas renouvelé en représailles contre le Maroc. L'Espagne a alors pu demander à l'Union européenne d'agir, mais ne l'a pas fait par mesquinerie.
- Le régime algérien est conscient que prendre une mesure de rétorsion de cette nature contre l'Espagne serait un affront à l'Etat ; que quel que soit le gouvernement qui occupera La Moncloa, l'Espagne se sentira attaquée. Il ne s'agit pas d'une punition du President du gouvernement actuel, Pedro Sánchez, mais de l'Etat espagnol.
Africa24monde Par PEDRO CANALES