
AGNU79 : La Chine estime que l’époque où une puissance ou deux dictaient la loi est « à jamais révolue »
A la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, le ministre des ...
© Abdoulaye Bathily (ici en mars 2023) a dressé un tableau très sombre de la situation en Libye. AFP - MAHMUD TURKIA
L'émissaire des Nations unies pour la Libye jette l'éponge. Nommé en août 2022 à la tête de la Mission des Nations unies en Libye, Abdoulaye Bathily a estimé lors de l'annonce de sa démission mardi 16 avril que l'ONU ne peut « agir avec succès » pour soutenir le processus politique face à des dirigeants qui placent « leurs intérêts personnels au-dessus des besoins du pays ».
La situation libyenne est depuis des mois dans l'impasse totale. Handicapé par l'immobilisme et les divisions libyennes, l'émissaire onusien n'arrivait pas à faire une percée, d’autant plus que les divisons se sont étendues également aux niveaux régional et international.
Très déçu et très découragé du comportement des responsables libyens, accusés d'égoïsme, Abdoulaye Bathily a fini par présenter sa démission mardi 16 avril au secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, avant de l'annoncer le soir lors d'une conférence de presse à l'issue d'une réunion du Conseil de sécurité. Il y a dressé un tableau très sombre de la situation en Libye, déchirée par une guerre civile depuis 2011.
Cet historien et homme politique sénégalais a été nommé à la tête de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul) en août 2022, après des mois de vacance du poste suite à la démission abrupte de son prédécesseur Jan Kubis en novembre 2021. Il a pris ses fonctions à l'automne suivant et a mené plusieurs initiatives pour rapprocher les Libyens et mener le pays vers les élections qui devraient sortir la Libye de la période de transition qui s'éternise depuis 2011.
Depuis le début de la semaine, Tripoli connait d'ailleurs des affrontements entre milices opposées, et la situation sécuritaire demeure très fragile. Le pays est en proie au chaos depuis 2011, et la population civile est à bout de souffle, ne croyant plus en la médiation.
« Détermination égoïste des dirigeants actuels »
La Manul « a fait beaucoup d'efforts ces 18 derniers mois sous ma direction », mais « ces derniers mois, la situation s'est détériorée », a noté Abdoulaye Bathily, dénonçant « le manque de volonté politique et de bonne foi des dirigeants libyens qui sont contents de l'impasse actuelle ». « C'est très triste, parce qu'en Libye aujourd'hui, l'essentiel de la population veut sortir de cette galère ». Mais « dans ces circonstances, il n'y a aucun moyen pour l'ONU d'agir avec succès », a-t-il jugé, ne voyant « pas de place pour une solution » politique.
Lors de la réunion du Conseil, Abdoulaye Bathily avait annoncé le report de la conférence nationale de réconciliation inter-libyenne prévue le 28 avril, à une date indéterminée. « Il est décourageant de voir des individus en position de pouvoir mettre leurs intérêts personnels au-dessus des besoins de leur pays », a-t-il lancé, partageant son « profond sentiment de déception ». « La détermination égoïste des dirigeants actuels à maintenir le statu quo par des manœuvres et tactiques dilatoires, aux dépens du peuple libyen, doit stopper », a-t-il plaidé. Il a notamment regretté que ses tentatives de répondre aux préoccupations des diverses parties aient été accueillies par « une résistance obstinée, des attentes déraisonnables et une indifférence face aux intérêts de la population ».
Échec d'une négociation à cinq
Abdoulaye Batilly avait convié à la table les différentes institutions : le Conseil présidentiel, le Conseil d'État, le Parlement, le gouvernement reconnu par la communauté internationale et le maréchal Khalifa Haftar. Mais le camp de l'Est libyen refusait de se joindre aux discussions tant que le chef du gouvernement désigné par le Parlement, auquel il est favorable, n'est pas convié.
Pour l'envoyé spécial de l’ONU, inviter les deux gouvernements signifierait la consécration de la division du pays. Soit ce qu'il aimerait éviter. « Je pense que ce qui l'a convaincu de jeter l'éponge, c'est la conviction que les choses ne bougeaient pas. À chaque fois qu'il y avait un nouvel acquis, il était devenu difficile de consolider cet acquis pour franchir une nouvelle étape et d'avoir un horizon pour la résolution de cette crise. Il n'a pas eu le sentiment que les parties libyennes étaient prêtes à trouver une solution », analyse Seidik Abba, président du centre international d'études et de réflexion sur le Sahel (Cires).
Le ministre congolais des Affaires étrangères Jean-Claude Gakosso, dont le pays préside le haut comité de l'Union Africaine pour la Libye et qui a travaillé avec l'émissaire onusien sur l'organisation de la conférence nationale libyenne, regrette ce départ et se souvient de moments forts vécus aux côtés d’Abdoulaye Bathily, dont la présence l’avait marqué.
Calendrier électoral écarté, retour à la case départ pour toute médiation
Avec cette démission, tout le processus de médiation doit recommencer. Il n'y a plus de date précise pour la conférence de réconciliation nationale libyenne qui était prévue le 28 avril, que l'Union africaine préparait depuis près de deux ans. Tout calendrier électoral est également écarté.
Nommer un nouvel émissaire va prendre plusieurs mois, en raison de la division de la communauté internationale. En 2022, à la suite de la démission de l'ancien émissaire, l'ONU a pris plusieurs mois avant de nommer Abdoulaye Bathily. Et il est fort probable que la numéro deux de la mission onusienne, l'Américaine Stéphanie Khoury, prenne les manettes de la mission onusienne par intérim, en attendant la désignation d'un nouvel émissaire.
Une fois nommé, le prochain émissaire doit tout reprendre à zéro : inciter à la formation d'un gouvernement unifié, instaurer une nouvelle période de transition, conduire de nouveaux efforts pour la réconciliation et essayer d'avancer face à une communauté internationale qui ne parle pas d'une même voix.
Selon le chef de la diplomatie du Congo-Brazzaville, le travail continue sur l’organisation de la Conférence nationale libyenne. Pour Jean-Claude Gakosso, celle-ci est d’autant plus importante qu’il n’y a pas des élections possibles sans réconciliation préalable.
Pour nous à l'Union africaine, cette conférence est un véritable créneau. Nous considérons qu'il faut absolument consolider le processus de réconciliation, sans quoi, les élections à venir seront une nouvelle source de violence. En Afrique, souvent les élections hélas génèrent de la violence, et à fortiori, dans un pays fractionné où les gens se regardent en chien de faillance. Nous avions compris cela dès le début, et nous en avons fait notre cheval de bataille. Il faut absolument consolider la réconciliation avant d'aller aux élections. Donc ce dossier de la réconciliation est toujours sur la table. Nous sommes obligés de ralentir notre rythme de travail en attendant que les Nations unies désignent un autre représentant en Libye, puisque je considère qu'on ne peut pas s'en passer. Mais nous continuons à travailler et à persuader, non seulement les libyens, mais aussi les pays et les puissances voisines qui exercent d'une façon ou d'une autre de l'influence sur la scène libyenne.
Pour le ministre des Affaires étrangères du Congo-Brazzaville Jean-Claude Gakosso, l'organisation de la Conférence nationale libyenne doit continuer malgré le départ du responsable onusien
Houda Ibrahim
La Libye est plongée dans le chaos politique et sécuritaire depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 à la suite d'une révolte populaire appuyée par l'Otan. Miné par les violences fratricides et les divisions, le pays est gouverné par deux exécutifs rivaux. L'un à Tripoli (Ouest) est dirigé par Abdelhamid Dbeibah et reconnu par l'ONU, l'autre dans l'Est est incarné par le Parlement et affilié au camp du maréchal Haftar, dont le fief est à Benghazi.
Africa24monde avec RFI et AFP