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© Henri-Marie Dondra, ministre des Finances et du Budget
Depuis 2013, la Centrafrique fait face à une crise sécuritaire qui a fragilisé l’autorité de l’Etat. Dès son élection en 2016, le gouvernement du président Faustin-Archange Touadera a mis en œuvre une stratégie axée notamment sur le numérique afin de relancer le développement du pays et ramener une paix et une stabilité durables.
Dans une interview accordée à l’Agence Ecofin, Henri-Marie Dondra, ministre des Finances et du Budget, explique comment le numérique peut devenir une arme de reconquête économique et sociale du pays par l’Etat.
Votre pays sort de plusieurs années de crise sécuritaire qui ont profondément affecté son tissu économique ; on parle d’une croissance économique en recul de plus de 36% au plus fort de la crise en 2013. Comment un pays comme la Centrafrique se sort-il d’une telle situation ?
La Centrafrique est un pays résilient qui, malgré des années de crises et conflits armés, a su renouer avec une croissance économique, en hausse depuis 2016, avec un taux moyen de 4%. Pour y arriver, nous avons dû, depuis l’investiture du président Archange Touadera, il y a 4 ans, entamer un certain nombre de réformes et maintenir une discipline budgétaire en matière de réduction du ratio Dette/PIB.
« Nous avons dû entamer un certain nombre de réformes et maintenir une discipline budgétaire en matière de réduction du ratio Dette/PIB »
Malgré notre situation de fragilité, dans la zone Cemac, nous faisons partie des deux pays qui ont pu respecter en 2019, plus de la moitié des critères de convergence de notre politique monétaire. Les secteurs secondaire et tertiaire ont porté cette croissance, en raison de la bonne tenue du secteur forestier, des bâtiments et travaux publics et de la reprise dans les mines, mais également de la progression des affaires en matière de téléphonie. Le secteur primaire peine, sous l’effet de la baisse de la production agricole, liée au déplacement des populations, victimes des conflits, alors que celles-ci sont les principales productrices des vivriers et de quelques cultures de rente.
« Les estimations actuelles laissent croire que nous aurons une baisse de 7,5% du PIB si cette crise sanitaire dure.»
Cependant, il apparaît maintenant très clairement que notre économie sera durement impactée par la crise sanitaire, à travers notamment une perte importante des revenus fiscaux et douaniers. Les estimations actuelles laissent croire que nous aurons une baisse de 7,5% du PIB si cette crise sanitaire dure.
L’un des leviers principaux choisis par votre gouvernement semble être le numérique. Quelle place occupe ce secteur dans l’agenda de redressement économique et social de la Centrafrique ?
Fort de l’expérience des pays frontaliers, le gouvernement centrafricain veut faire du numérique un des leviers primordiaux de résolution des enjeux socio-économiques du pays, notamment en ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie de la population. Ceci se traduit par un engagement ferme de l’Exécutif à œuvrer pour le développement d’une économie numérique compétitive et durable. Cela se traduit notamment par les projets engagés par le ministère des Postes et Télécommunications en matière d’amélioration des infrastructures de connectivité et la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire récent sur les communications électroniques, et par les projets de digitalisation du ministère des Finances et du Budget, notamment, à travers la dématérialisation des encaissements et décaissements de l’Etat. Ces projets constituent de solides bases pour la mise en place d’un cadre favorable au développement du numérique en République centrafricaine.
Les estimations indiquent que le taux de pénétration de l’internet et du mobile en Centrafrique est en dessous de 30%. Selon vous, qu’est-ce qui explique cette situation, surtout quand on sait que le pays dispose depuis des décennies, des richesses nécessaires pour financer sa révolution technologique ?
Sans paix et stabilité politique, il est difficile de financer un développement et encore moins une révolution technologique. Or la récurrence des crises militaires en RCA, depuis deux décennies, nous a empêchés de mettre en place des politiques publiques structurantes et durables pour développer, d’abord et avant tout, notre capital humain, indispensable pour embrasser cette révolution numérique. C’est en cela que l’Accord de paix (APPR) signé en février 2019 est d’une importance capitale dans notre volonté de saisir les opportunités qu’offre la révolution numérique.
Quelle stratégie votre gouvernement développe-t-il pour rattraper le retard en infrastructures de connectivité ?
Malgré ces défis, notre gouvernement a lancé le projet fibre optique en octobre dernier, avec l’ambition de doter le pays d’un datacenter, de centres d’innovation et d’un incubateur numérique.
« Sans paix et stabilité politique, il est difficile de financer un développement et encore moins une révolution technologique. »
Par ailleurs, nous œuvrons actuellement à opérationnaliser le Fonds de service universel pour accroitre la couverture mobile sur l’ensemble du territoire. Cela nous permettra en attendant une couverture internet par la fibre optique, de pouvoir utiliser la technologie mobile.
Début 2019, au cours d’un entretien avec le président Faustin-Archange Touadéra, Alioune Diagne, le directeur Afrique et Moyen-Orient du groupe Orange, a milité pour la mise en place d’un cadre fiscal favorable à l’investissement dans le pays. Or, le FMI indique que le niveau actuel des recettes intérieures centrafricaines (moins de 10% du PIB) est encore trop faible pour assurer les investissements essentiels. Qu’en pensez-vous ?
Le gouvernement est conscient de ces manquements, c’est pour cela que nous nous sommes dotés d’une charte des investissements pour attirer les investissements étrangers. Pour cela, nous avons adopté des reformes sur la réglementation, la cessation d’activités ainsi que sur la concurrence. Nous avons également facilité la création d’entreprises par la réduction du capital. Les investissements directs étrangers sont ainsi passés de 0,4% du PIB en 2017 à 1,1% du PIB en 2019. Cela nous a valu d’améliorer notre score en matière de facilité de création d’entreprises de 37 (2017) à 60,9 (2018). Et comme nous ne sommes qu’en début de mise en œuvre de ce vaste chantier de cadre fiscal favorable, nous espérons un impact plus visible à long terme.
« En guise d’exemple, nous pouvons aujourd’hui cartographier, à l’aide du numérique, le potentiel de taxation pour la niche fiscale qu’est le foncier. »
Effectivement, en matière de recettes intérieures, nous avons encore un potentiel d’amélioration : à la fois sur l’efficacité de l’instrument fiscal, la performance de l’administration fiscale et un potentiel fiscal sous-exploité. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes dotés de cette stratégie digitale qui vise à améliorer cet instrument fiscal. En guise d’exemple, nous pouvons aujourd’hui cartographier, à l’aide du numérique, le potentiel de taxation pour la niche fiscale qu’est le foncier.
L’un des projets phares de votre stratégie dans le numérique est le programme Patapaye, lancé depuis le début de cette année à destination des fonctionnaires centrafricains. De quoi s’agit-il concrètement ?
Les récentes crises ont vu la fermeture des établissements bancaires et institutions de microfinance dans l’arrière-pays ; cela a eu pour conséquence de freiner la bancarisation et l’inclusion financière. L’impact est tel que, chaque mois, faute de services bancaires sur leurs lieux de travail, les fonctionnaires doivent se déplacer ou encore utiliser des intermédiaires pour accéder à leur salaire, ce qui peut leur coûter jusqu’à 15% de leur revenu.
« Chaque mois, faute de services bancaires sur leurs lieux de travail, les fonctionnaires doivent se déplacer ou encore utiliser des intermédiaires pour accéder à leur salaire, ce qui peut leur coûter jusqu’à 15% de leur revenu. »
Le projet Patapaye consiste à la dématérialisation des procédures de paiement par mobile des salaires des fonctionnaires.
Quels seront les principaux avantages d’un tel projet pour l’administration publique de votre pays ?
Pour sortir de notre fragilité, il nous faut aussi renforcer la mobilisation de nos ressources intérieures en modernisant le système fiscal et en nous appuyant sur des niches fiscales, comme le foncier.
« Nous avons la ferme volonté de mettre en place, avec l’avènement de la fibre optique, une administration numérisée. »
Cette modernisation passe par la digitalisation des procédures de déclarations et de paiement des taxes. Cela va nous permettre de mobiliser davantage de ressources pour financer les programmes publics. Certes notre volonté est d’optimiser la collecte des recettes domestiques, mais nous saisissons également cette opportunité pour améliorer la façon dont les services sont rendus aux citoyens et aux entreprises, mettant ainsi en place les bases d’un e-gouvernement. Tout cela est cohérent avec notre plan de relèvement, dont un des piliers vise à reconstruire le contrat social entre l’Etat et nos populations.
Trois mois après le lancement de ce programme, quelles en sont les retombées ? Quels sont les principaux obstacles qui rendent difficile sa mise en œuvre ?
Bien que nous soyons dans une phase de test, plusieurs fonctionnaires ont pu disposer de leur salaire grâce à cette première phase sur leur lieu de travail ; cela contribue grandement à l’inclusion financière dans l’arrière-pays. Nous pensons déjà à généraliser ce type de paiement à d’autres usagers comme les cotonculteurs qui reçoivent des subventions de l’Etat, les étudiants pour le paiement de leur bourse, etc.
« A cela, s’ajoute un élément nécessaire à l’adoption de ce programme : l’éducation. »
Le principal défi reste l’accès à l’internet dans tout le pays via la fibre optique, mais également via une amélioration de la couverture mobile. A cela, s’ajoute un élément nécessaire à l’adoption de ce programme : l’éducation. Nous menons un travail de pédagogie auprès notamment de la jeunesse afin qu’elle puisse porter ces transformations et intégrer durablement le numérique dans son quotidien.
Pensez-vous très prochainement, à l’image d’autres pays comme le Rwanda ou le Kenya, généraliser ce programme de digitalisation des services de paiement à toute la population centrafricaine ?
Effectivement, nous comptons bien répliquer ce programme dans d’autres préfectures que les quatre premières (Bambari, Bouar, Bossangoa et Mbaïki) dans lesquelles nous l’avons testé, durant ces trois derniers mois. Dès le 20 avril, trois autres nouvelles villes seront testées : Bangassou, Bozoum, Kaga-Bandoro et nous allons continuer ainsi jusqu’à couvrir l’ensemble du territoire. Nous avons la ferme volonté de mettre en place, avec l’avènement de la fibre optique, une administration numérisée qui nous permettra d’être plus performants, de mieux servir les citoyens et de réduire les enjeux de corruption souvent décriés.
Malgré les différents accords de paix et stratégie de réconciliation mis en place, le territoire centrafricain reste majoritairement contrôlé par les groupes armés ; l’Etat a d’ailleurs disparu ou voit son autorité contestée dans plusieurs parties du territoire. Plus qu’une option militaire, ou politique, la révolution numérique en Centrafrique peut-elle devenir une arme de reconquête du pays par votre gouvernement ?
L’État n’a pas disparu, mais comme vous le savez, le Gouvernement ne peut prétendre restaurer son autorité sur l’ensemble du territoire sans restaurer la paix, la stabilité et la sécurité ; bien au contraire la mise en œuvre de l’accord politique de paix et de réconciliation de février 2019 participe de ce retour progressif de la sécurité. La mise en œuvre de cette stratégie a permis à la République centrafricaine de connaître des avancées indéniables. Cet accord devait justement favoriser la reprise économique par le redéploiement des services publics dans les provinces et l’accroissement des investissements publics et privés. C’est d’ailleurs, dans le cadre de cette restauration de l’autorité de l’État sur l’étendue du territoire, que nous avons commencé à mettre l’accent sur les stratégies de redéploiement des fonctionnaires grâce au numérique.
« C’est d’ailleurs, dans le cadre de cette restauration de l’autorité de l’État sur l’étendue du territoire, que nous avons commencé à mettre l’accent sur les stratégies de redéploiement des fonctionnaires grâce au numérique. »
Si nous réussissons notre ambition de moderniser le service public par le numérique, notre pari d’améliorer l’accès des populations aux services essentiels : santé, éducation, inclusion financière par le numérique, rapprocher les populations par une couverture mobile plus dense, développer l’entrepreneuriat numérique chez les jeunes, alors nous pourrions envisager la révolution numérique comme arme de reconquête.
En plein Covid-19, de nombreux pays optent justement pour cette digitalisation des services de paiement pour freiner la propagation de la pandémie. Votre gouvernement compte-t-il utiliser le besoin créé par cette pandémie pour accélérer sa stratégie de digitalisation de l’économie ? Comment ?
Dès l’identification des premiers cas de Covid-19, nous avons pris des mesures visant l’ensemble des établissements bancaires et de microfinance, notamment en ce qui concerne l’accès des usagers aux services bancaires de base. Ces accès se font pour la quasi-majorité par des présences physiques au niveau des banques.
« Cet épisode du Covid-19 nous conforte dans notre choix et stratégie du numérique. »
Face à cela, nous avons justement entrepris des discussions avec les opérateurs de téléphonie et les banques pour rendre le projet Patapaye accessible au plus grand nombre afin de couvrir toutes les demandes de paiement mobile et mettre en place les bases d’un commerce électronique (factures d’électricité, d’eau, etc.). Au sujet de la dématérialisation des déclarations d’impôts et de paiement, le démarrage de la phase pilote était prévu pour le 15 avril, mais du fait de la pandémie, nous avons pris la décision de reporter son lancement au mois de juin en raison de l’impossibilité de fournir un accompagnement de proximité.
Cet épisode du Covid-19 nous conforte dans notre choix et stratégie du numérique. Nous allons continuer à coordonner les efforts pour faire avancer ce dossier qui trouve de plus en plus sa raison d’être dans les services que nous fournissons aux citoyens.
Propos recueillis par Moutiou Adjibi Nourou
Par Africa24monde avec Agenceecofin