Les Etats-Unis et l’ONU exigent la tenue des élections en Somalie
Les tentatives de l’opposition d’instaurer un gouvernement de transition en ...
© Emmanuel Macron, président de la république française - Photo: AFP
Lors d’un entretien accordé le 16 novembre à l’hebdomadaire Jeune Afrique, le président Emmanuel Macron a dressé le bilan de son action en relation avec le continent africain. Le chef de l'Etat français a évoqué un large éventail de sujets, de la restitution du patrimoine africain et la fin du franc CFA, aux réélections d’Alpha Condé en Guinée et d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et les relations de la France avec le Rwanda, en passant par la lutte contre le djihadisme au Sahel, la première année au pouvoir du président algérien Abdelmadjid Tebboune. Le président français évoque notamment l'instrumentalisation par la Turquie et la Russie d'un "ressentiment post-colonial" contre la France.
Regard Sur l'Afrique vous propose un extrait de l’interview.
C'est une très longue interview, qui évoque de nombreux dossiers. Emmanuel Macron a fait le tour des sujets liés au continent africain dans un entretien publié ce vendredi par l'hebdomadaire Jeune Afrique. Le chef de l'Etat français évoque la situation en Guinée et en Algérie, le terrorisme au Sahel, les relations avec le Rwanda, mais aussi "le ressentiment post-colonial" alimenté selon lui par la Turquie et la Russie à des fins de déstabilisation.
Sahel : pas de discussions avec les terroristes
Le président de la République a martelé l'opposition complète de la France, engagée militairement au Sahel, à toute négociation avec les djihadistes, alors que ce sujet fait débat dans la région, notamment au Mali. "Avec les terroristes, on ne discute pas. On combat", a-t-il lancé au cours de l'entretien.
"Il faut s'inscrire dans la feuille de route claire que sont les accords d'Alger", a souligné Emmanuel Macron en référence à l'accord de paix conclu en 2015 entre le pouvoir central malien, les groupes armés pro-Bamako et l'ex-rébellion à dominante touareg du nord du Mali. "Ceux-ci prévoient un dialogue avec différents groupes politiques et autonomistes. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut dialoguer avec des groupes terroristes, qui continuent à tuer des civils et des soldats, y compris nos soldats", a-t-il ajouté. Cet accord ne concerne pas les groupes liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ou à l'organisation Etat islamique (EI) qui poursuivent, voire intensifient leurs actions depuis cinq ans, faisant des centaines de morts.
Le président français a par ailleurs indiqué qu'il aurait, "dans les prochains mois des décisions à prendre pour faire évoluer Barkhane", la force française de plus de 5000 hommes présente au Sahel. Une décision était jusqu'ici attendue d'ici la fin de l'année. Près d'un an après l'envoi de 600 soldats supplémentaires au Sahel pour reprendre l'avantage face aux djihadistes, Paris est sur le point de réduire le nombre de militaires déployés.
"J'ai besoin d'une réitération claire du souhait de nos partenaires de voir la France rester à leurs côtés", a souligné le chef de l'Etat, qui avait déjà demandé un tel engagement à ses homologues du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) au sommet de Pau (sud-ouest de la France) en janvier. Barkhane doit se "recentrer vraiment sur nos ennemis, l'EIGS et les groupes strictement terroristes", a souligné le chef de l'Etat en référence à l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) qui s'inscrit dans la nébuleuse de l'EI, et que Paris et ses alliés du G5 Sahel avaient déjà désigné comme cible principale au sommet de Pau.
Emmanuel Macron a dit "espérer" se rendre "en 2021" au Rwanda, pays avec lequel les relations se sont réchauffées ces dernières années après des décennies de tensions liées au rôle controversé de la France dans le génocide de 1994. Convié en 2019 à Kigali par le président rwandais pour la 25e commémoration du génocide, Emmanuel Macron ne s'y était finalement pas rendu, ce qui avait suscité des critiques. Il avait envoyé un représentant personnel, le député LREM Hervé Berville.
Les zones d'ombre sur le rôle de la France restent une source récurrente de polémique en France et empoisonnent les relations avec Kigali depuis plus de 25 ans. Mais bien que le poste d'ambassadeur de France à Kigali reste vacant depuis 2015, les relations entre les deux pays se sont réchauffées ces dernières années.
En avril 2019, Emmanuel Macron a mis en place en France une commission d'historiens et de chercheurs afin de faire la lumière sur le rôle controversé de Paris lors du génocide au Rwanda, qui a fait selon l'ONU environ 800 000 morts, essentiellement parmi la minorité tutsi, lors de massacres perpétrés par des extrémistes hutus entre avril et juillet 1994. La commission, qui examine les archives françaises relatives à l'implication politico-militaire de Paris au Rwanda entre 1990 et 1994, doit rendre son rapport dans quelques mois.
"Pour la première fois, cette commission permet un accès aux archives françaises de la période 1990-1994. Il s'agit donc d'un travail historique inédit et indispensable. Mais cela ne conditionne en rien notre relation avec le Rwanda. Nous nous devons de regarder notre passé dans son intégralité, sans volonté de dissimuler, ni de nous auto-flageller", a déclaré le président français à Jeune Afrique.
Une diplomatie au-delà de l'Afrique francophone
Il souligne que sa diplomatie n'est "pas cantonnée à l'Afrique francophone" et qu'il s'est rendu "dans des pays qu'aucun président français n'avait visité". Après s'être notamment rendu au Nigeria, en Ethiopie et au Kenya, il espère prochainement aller en Afrique du Sud et en Angola.
Il indique que le prochain sommet France-Afrique, reporté à cause de l'épidémie de Covid-19, "devrait se tenir en juillet 2021 à Montpellier". Il "illustrera ce changement de méthode. Nous n'allons pas organiser un sommet classique, en invitant des chefs d'État" mais en mettant "en avant les personnes qui incarnent le renouvellement générationnel", annonce-t-il.
Guinée et Côte d'Ivoire : deux situations différentes selon Macron
"La situation est grave en Guinée"
Macrona estimé Emmanuel Macron, qui regrette que le président Alpha Condé, réélu en octobre, ait "organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir". Alpha Condé, 82 ans, a été réélu au premier tour le 18 octobre avec 59,50% des suffrages mais l'opposition a dénoncé des irrégularités de toutes sortes après une campagne troublée.
"Le président Condé a une carrière d'opposant qui aurait justifié qu'il organise de lui-même une bonne alternance. Et d'évidence, il a organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir. C'est pour ça que je ne lui ai pas encore adressé de lettre de félicitations", assène Emmanuel Macron.
Interrogé sur cette présidentielle et celle en Côte d'Ivoire, également controversée
Emmanuel Macron souligne que "la France n'a pas à donner de leçons". "Notre rôle, c'est d'en appeler à l'intérêt et à la force qu'a le modèle démocratique dans un continent de plus en plus jeune", explique-t-il. Le président français déclare "penser vraiment" que Alassane Ouattara, 78 ans, "s'est présenté par devoir" à la présidentielle du 31 octobre alors qu'il ne le "voulait pas". La crise électorale a fait 85 morts en trois mois. "Il appartiendra au président Ouattara de définir les termes d'une vie politique pacifiée. Il devra sans doute faire des gestes d'ouverture dans la composition du prochain gouvernement ainsi qu'à l'égard des jeunes générations des partis politiques", estime Emmanuel Macron.
Il doit également réussir à se réconcilier avec les grandes personnalités de la politique ivoirienne. Les initiatives relatives à Henri Konan Bédié sont à cet égard aussi importantes que les gestes adressés à Laurent Gbagbo. Mais quoi qu’il arrive, il faudra encourager le renouvellement des générations.*
Algérie : le président Abdelmadjid Tebboune, un homme "courageux"
"Je vous le dis franchement : je ferai tout ce qui est en mon possible pour aider le président Tebboune dans cette période de transition. Il est courageux", a souligné le chef de l'Etat français. Mais, ajoute-t-il, "on ne change pas un pays, des institutions et des structures de pouvoir en quelques mois".
"Il y a eu un mouvement révolutionnaire, qui est toujours là, sous une forme différente. Il y a aussi une volonté de stabilité, en particulier dans la part la plus rurale de l'Algérie. Il faut tout faire pour que cette transition réussisse. Mais il y a un facteur temps important", explique Emmanuel Macron, interrogé sur le mouvement de contestation populaire "Hirak". "Il y a aussi des choses qui ne sont pas dans nos standards et que nous aimerions voir évoluer", précise-t-il, sans détailler.
Il affirme avoir, "à chaque fois, un dialogue de vérité avec le président" mais "je ne suis jamais dans l'invective ni dans la posture du donneur de leçon. L'Algérie est un grand pays. L'Afrique ne peut pas réussir sans que l'Algérie réussisse".
La question du Sahara occidental
Le président Macron a souligné les échanges "de grande confiance et d’amitié" avec le Roi du Maroc. "Je suis convaincu que les différents protagonistes savent que la seule issue est politique " a-t-il affirmé en répétant que la France est "disponible pour aider à une discussion politique".
Cameroun : Emmanuel Macron évoque le départ de Paul Biya
Paul Biya est rarement classé comme président par Emmanuel Macron. Dans un entretien exclusif à Jeune Afrique le 16 novembre 2020, le président français a déclaré avoir fait pression sur Paul Biya pour qu’il reçoive des gestes d’apaisement de sa part. Cette fois, il va encore plus loin et se réfère aux séquelles de Biya. En effet, Emmanuel Macron pense déjà au renouvellement de la classe dirigeante au Cameroun.
Le conflit dans la région anglophone du Cameroun se poursuit et l’opposition est régulièrement réprimée – Maurice Kamto en porte le poids. Il y a un an, vous aviez dit vouloir « mettre le maximum de pression sur Paul Biya ». Que peut faire la France?
Et je l’ai fait parce que je vous rappelle que le président Biya n’est pas venu en France en visite officielle depuis longtemps. Nous avions eu des contacts par téléphone, mais je lui avais demandé des gestes de confiance avant son arrivée à Lyon en octobre 2019. Il les avait réalisés il y a un an avec un certain nombre de publications.
« J’invite le président BIYA à prendre des mesures d’ouverture. »
La situation est à nouveau tendue et j’exhorte le président Biya à faire des gestes d’ouverture. Lui aussi doit se préparer au renouveau et pacifier son pays, d’autant plus qu’il a un autre défi bien plus grand: celui de l’avancée de Boko Haram. Il doit impliquer le plus possible son pays dans la lutte contre le terrorisme aux côtés du Nigéria, et notamment du Tchad, qui porte une grande partie du fardeau, parfois seul.
La France n’a pas vocation à protéger des activistes qui cherchent à déstabiliser un pays, il vante les modèles gouvernants Ethiopien avec Abiy Ahmed, Rwandais avec Kagame et Ivoirien avec Alassane Dramane Ouattara ».
Poursuivant dans la même logique, Emmanuel Macron instruit « il instruit l’Union Africaine de trouver des solutions pour un renouvellement rapide de la classe dirigeante Africaine et de militer en faveur des alternances démocratiques… ».
Restitution des oeuvres d'art et franc CFA
Les premiers thèmes abordés sont deux aspects très symboliques de la relation que la France entretient avec le continent africain : la restitution du patrimoine africain et le Franc CFA.
Une loi a été votée qui permet "non pas simplement de transférer momentanément une œuvre mais de la restituer", souligne Emmanuel Macron en citant le travail effectué par Bénédicte Savoy et Felwine Sarr.
Le deuxième point était la fin du franc CFA. "Cette réforme importante, conclue par un accord signé lors de mon dernier voyage en Côte d’Ivoire, met fin à un marqueur symbolique qui alimentait beaucoup de fantasmes et de critiques." Le président Macron cite également la mise en place de la plateforme Digital Africa et le futur sommet des financements pour l’Afrique qui devrait être organisé à Paris en mai.
Le président français parle de lever "des tabous mémoriels et économiques" et de mettre en place une "relation équitable et un véritable partenariat".
"Ressentiment post-colonial" : la Russie et la Turquie mises en cause
Le chef de l'Etat a dénoncé "une stratégie à l'oeuvre, menée parfois par des dirigeants africains, mais surtout par des puissances étrangères, comme la Russie ou la Turquie, qui jouent sur le ressentiment post-colonial". "Il ne faut pas être naïf : beaucoup de ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présents dans les médias francophones sont stipendiés par la Russie ou la Turquie", selon Emmanuel Macron. Il insiste sur la "relation équitable" et le "véritable partenariat" que la France cherche à mettre en oeuvre avec le continent depuis son arrivée au pouvoir en 2017, avec la levée de "tabous" "mémoriels, économiques, culturels, entrepreneuriaux". "Je pense qu'entre la France et l'Afrique, ce doit être une histoire d'amour", ajoute Emmanuel Macron, estimant que "nous ne devons pas être prisonnier de notre passé".
Interrogé sur son attitude vis-à-vis du "défi mémoriel" posé par la guerre d'Algérie, Emmanuel Macron affirme que "la France a fait énormément de gestes" et que l'important est de "mener un travail historique et réconcilier les mémoires" plutôt que de "s'excuser". "Au fond, nous nous sommes enfermés dans une espèce de balancier entre deux postures : l'excuse et la repentance d'une part, le déni et la fierté de l'autre. Moi, j'ai envie d'être dans la vérité et la réconciliation, et le président Tebboune a exprimé sa volonté de faire de même", ajoute-t-il, en rappelant que l'historien Benjamin Stora doit lui remettre en décembre un rapport sur cette question.
Autre message adressé à la Turquie de la part du président français, au sujet des caricatures du prophète de l'Islam Mahomet : "Je respecte chaque religion. Si vous lisez mes discours, vous verrez que j'ai été constant en la matière. Mais lorsque j'ai décidé, dès le début de mon quinquennat, de m'attaquer à l'islam radical, mes propos ont été déformés. Par les Frères musulmans, assez largement, mais aussi par la Turquie, avec une capacité à influer sur beaucoup d'opinions publiques, y compris en Afrique subsaharienne", a-t-il étayé.
Par Tinno BANG MBANG
Africa24monde avec Regard Sur l'Afrique