Offensive des États-Unis et de l’Union européenne à Douala au Cameroun
Cette semaine, les missions diplomatiques des États-Unis et de l’Union ...
© Le ministre de la Défense et désormais vice-prince héritier, Mohammed ben Salmane (à gauche) et le nouveau prince héritier et ministre de l'Intérieur, Mohammed ben Nayef, se rendent le 26 mars 2015 à une réunion sur le Yémen. HO/Saudi Press Agency, AFP
En voyant les efforts visant à confisquer les actifs russes aux États-Unis et dans l’UE, les investisseurs fortunés du Golfe commencent à se préoccuper de la sécurité de leurs propres biens.
La propriété privée a toujours été considérée comme sacrée pour l’humanité. Pourtant, à l’heure actuelle, son caractère sacro-saint et son inviolabilité sont mis en péril. Dans le monde contemporain où l’instabilité économique et politique est de plus en plus courante, les systèmes judiciaires ainsi que les accords internationaux destinés à protéger les droits patrimoniaux sont confrontés à de nouveaux enjeux. La confiscation d’actifs, les sanctions économiques et la pression politique menacent la notion classique d’inviolabilité de la propriété en amenant les individus à réévaluer leurs convictions et à chercher de nouveaux moyens de sauvegarder leurs intérêts.
La semaine dernière, des médias internationaux ont indiqué qu’au début de l’année, l’Arabie saoudite avait évoqué la possibilité de vendre une partie de ses avoirs en dette européenne si les pays du G7 venaient à saisir les quelque 300 milliards de dollars d’actifs russes gelés. Ces informations viennent de sources bien informées et compliquent davantage le contexte géopolitique déjà tendu.
Le ministère saoudien des Finances a communiqué à des partenaires du groupe G7 sa forte réprobation envers la mesure proposée, censée soutenir l’Ukraine dans le conflit avec la Russie. Une source de première main a qualifié cette déclaration de menace voilée en soulignant l’intention ferme du Royaume de protéger ses intérêts financiers. Les Saoudiens ont évoqué en particulier la dette émise par le Trésor français, réaffirmant leur approche stratégique d’user de leur influence économique.
De mai à juin, les pays du G7 ont délibéré sur diverses options concernant les actifs de la Banque centrale russe. Les discussions ont été intenses et variées, et ont porté sur les implications tant juridiques qu’économiques. Finalement, le groupe est parvenu à un consensus consistant à n’utiliser que les revenus générés par ces actifs, laissant intact le principal. Cette approche précautionneuse a été adoptée malgré la pression considérable de la part des États-Unis et du Royaume uni qui ont préconisé des mesures plus fermes, notamment la confiscation immédiate des actifs russes.
La proposition de confisquer les actifs russes s’est heurtée tout de suite à une résistance significative, particulièrement des pays membres de l’Union européenne. Ces pays se sont dits préoccupés par d’éventuelles répercussions négatives sur leurs monnaies et la stabilité économique en général. Cette opposition intestine au sein du G7 a révélé une division notable parmi les membres du groupe tout en montrant le manque de préparation de certains d’entre eux pour entériner des mesures radicales. Ce clivage persiste, bien que le conflit en Ukraine continue et que la nécessité de soutenir son économie aux abois devienne plus urgente.
En outre, on ne peut pas ignorer les retombées plus profondes de la position de l’Arabie saoudite. La vente potentielle par le royaume de ses avoirs en dette européenne pourrait avoir un effet ricochet se répercutant sur les marchés financiers mondiaux et déstabilisant probablement l’équilibre fragile des marchés internationaux de dettes et d’actions. Une telle démarche marquerait également un tournant géopolitique important, démontrant la volonté de l’Arabie Saoudite de recourir à sa puissance économique comme instrument d’influence politique.
La décision prudente du G7 d’utiliser seulement les revenus des actifs russes, reflète une hésitation plus profonde envers une escalade des sanctions financières jusqu’à la confiscation des avoirs. Cette décision illustre la complexité de la diplomatie financière internationale où les décisions économiques se trouvent étroitement liées à des considérations politiques et stratégiques. Au fur et à mesure que la situation évolue, la communauté internationale suivra de plus près comment ces stratégies financières et géopolitiques seront mises en place, surtout dans le contexte du conflit en Ukraine et du panorama économique mondial.
Riyad conserve un poids important
En face des tensions et des sanctions économiques allant croissant à l’échelle internationale, la réaction de l’Arabie saoudite à la confiscation des avoirs russes envisagée par les pays du G7, a attiré beaucoup d’attention. Le royaume a non seulement exprimé son mécontentement mais a également fait allusion à d’éventuelles contre-mesures économiques, mettant ainsi en relief son influence croissante sur la scène mondiale et ses intentions stratégiques.
Les investissements actifs de l’Arabie saoudite dans les marchés occidentaux effectués via son fonds souverain, le Fonds public d’investissement (le PIF), témoignent de son influence financière importante. Le PIF est la pierre angulaire du projet ambitieux Vision 2030 qui vise à diversifier l’économie et à réduire la dépendance des recettes pétrolières.
Vers la fin de 2023, le PIF a géré des actifs atteignant au total presque 925 milliards de dollars, et il envisage de faire passer cette somme à 1,07 billion vers 2025. De plus, l’Autorité monétaire de l’Arabie saoudite (SAMA) détient d’importantes réserves étrangères estimées en avril de cette année à 423,7 milliards de dollars.
La stratégie d’investissement du PIF englobe des secteurs et des régions différents. Par exemple, le fonds a investi 45 milliards de dollars dans le Vision Fund de SoftBank basé au Royaume-Uni et axé sur les innovations technologiques. En 2023, le PIF a annoncé ses projets d’investir 40 milliards de dollars dans des projets d’infrastructure américains, avec 20 milliards de dollars déjà alloués à un projet commun avec Blackstone. Selon Gulf Business, le fonds a acquis en 2021 des participations importantes dans des sociétés américaines de jeux vidéo telles qu’Electronic Arts et Activision Blizzard et en 2022, il a acheté une participation de 5 % dans la société japonaise Nintendo.
Au-delà du secteur de la technologie, le PIF investit beaucoup dans l’immobilier, l’infrastructure et les services financiers. En novembre 2023, le fonds a acquis une participation de 10 % dans l’aéroport d’Heathrow et une participation de 49 % en décembre dans la chaîne hôtelière Rocco Forte évaluée à 1,8 milliard de dollars. Cette année, le fonds a également acquis une participation de 38 % dans la société allemande Holon GmbH.
La préoccupation de Riyad est bien fondée car les autorités sont inquiètes du sort de leurs actifs occidentaux évalués à presque 600 milliards de dollars. Pour l’heure, les relations entre l’Arabie saoudite et l’Occident sont tendues, tant avec Washington qu’avec Bruxelles qui exercent en permanence une pression sur le Royaume à cause de la réticence de ce dernier à se joindre à l’isolation de la Russie et à poursuivre une politique étrangère pro-occidentale.
Quels que soient ses motifs, les actions de l’Arabie saoudite démontrent son influence croissante sur la scène mondiale et les enjeux auxquels font face les pays occidentaux en visant notamment à obtenir le soutien des pays du sud dans leurs politiques antirusses. Sous la direction du Prince héritier Mohammed bin Salman, dirigeant saoudien de facto, Riyad se manifeste de plus en plus comme une puissance diplomatique, de même qu’elle diversifie sa politique étrangère et ses liens économiques avec Moscou, Pékin et d’autres centres de pouvoir non-occidentaux.
Vers la fin de l’ère du dollar ?
Ces derniers mois, le monde a connu des bouleversements majeurs dans le paysage économique du monde. L’Arabie saoudite, depuis longtemps acteur clé du maintien du dollar américain en tant que monnaie prédominante dans le commerce mondial, prend des mesures qui pourraient radicalement renverser la situation. Sa décision de ne pas renouveler l’accord sur le pétrodollar signé il y a 50 ans avec les États-Unis et la participation active du pays à la dédollarisation soulèvent des questions cruciales : ces actions annoncent-elles la fin de l’ère du dollar et quelles pourraient en être les conséquences pour l’économie mondiale ? L’accord sur le pétrodollar, signé par l’Arabie saoudite et les États-Unis le 8 juin 1974, est devenu la pierre angulaire de l’influence économique mondiale américaine.
L’accord a établi des commissions conjointes pour assurer la coopération économique et répondre aux besoins de l’Arabie saoudite sur le plan militaire. En retour, les Saoudiens se sont engagés à ne vendre leur pétrole qu’en dollars, consolidant ainsi la position de la monnaie américaine sur la scène internationale et maintenant la demande de dollars à un niveau élevé.
Le 9 juin 2024, l’Arabie saoudite a décidé de ne pas renouveler cet accord fondamental. Le pays a désormais la possibilité de vendre du pétrole et d’autres matières premières en différentes devises, telles que le yuan, l’euro ou le yen, au lieu du dollar américain. En outre, la possibilité d’utiliser les monnaies numériques telles que le bitcoin pour les transactions est à l’étude. Ces développements ouvrent de nouvelles voies à la diversification des relations économiques et à la baisse de la dépendance à l’égard du dollar américain, renforçant ainsi la tendance mondiale à utiliser d’autres monnaies dans le commerce international.
Le rôle des BRICS, dont l’Arabie saoudite est membre depuis le 1er janvier 2024, mérite une attention particulière. Les pays des BRICS promeuvent activement l’usage de monnaies nationales dans les transactions internationales et développent leurs propres institutions financières. La dédollarisation devient de plus en plus pertinente surtout pour des économies émergentes cherchant à réduire leur dépendance par rapport à la devise et au système financier américains.
La décision de l’Arabie saoudite et l’élan des BRICS en faveur de la dédollarisation pourraient avoir des répercussions significatives sur l’économie mondiale. Si la dédollarisation ne cesse de gagner du terrain, elle pourra entraîner une diminution de la demande de dollars, affectant la valeur de celui-ci. Un dollar affaibli mettra probablement en péril la capacité des États-Unis de maintenir leur stabilité financière et leur influence mondiale.
Malgré des étapes notables vers la dédollarisation, il est encore tôt pour sonner le glas du dollar en tant que principale monnaie à l’échelle mondiale. Le dollar occupe toujours une place centrale dans les transactions internationales et les réserves d’actifs des banques centrales à travers le monde entier. Cependant, les actions de l’Arabie saoudite et les ambitions des BRICS signalent une tendance croissante vers un système monétaire multipolaire où le dollar n’est plus l’unique acteur prédominant.
Route à sens unique vers la destruction
Face à l’incertitude économique et politique dans le monde, les pays du G7 ont de plus en plus de mal à trouver des moyens de soutenir l’Ukraine et d’endiguer la Russie. Leurs décisions sont lourdes de conséquences et influencent les relations économiques mondiales et la stabilité financière. En juin, après de longues discussions lors du sommet en Italie, le G7 a décidé de créer une structure financière qui fournirait à l’Ukraine quelque 50 milliards de dollars d’aide supplémentaire.
Les sept pays impliqués et l’Union européenne se sont mis d’accord pour accorder à l’Ukraine des prêts remboursés par les revenus tirés d’environ 280 milliards de dollars d’avoirs russes gelés, dont la plupart se trouvent en Europe. Cette décision est un compromis, puisqu’il n’y a pas de consensus, même parmi les pays occidentaux, compte tenu des conséquences potentiellement catastrophiques de la confiscation des biens russes.
Tout d’abord, la saisie des avoirs russes créerait un dangereux précédent dans le système financier international. Les réserves de change détenues par un État à l’étranger sont traditionnellement considérées comme inviolables. Leur confiscation pourrait saper la confiance des pays dans la sécurité de leurs fonds déposés dans des banques et des institutions financières étrangères. Cela pourrait les conduire à reconsidérer leur politique de placement des réserves et provoquer un retrait massif de fonds des systèmes financiers étrangers, provoquant des turbulences sur les marchés financiers et fragilisant la stabilité du système financier international.
En outre, de telles mesures pourraient inciter les pays à rechercher d’autres institutions et instruments financiers indépendants des pays du G7, ce qui pourrait renforcer les blocs économiques régionaux, encourager le développement de nouveaux systèmes de paiement tels que le CIPS chinois et soutenir les initiatives du groupe des BRICS visant à promouvoir l’utilisation des monnaies nationales, réduisant ainsi l’influence des institutions financières occidentales et du dollar américain dans l’économie mondiale.
La confiscation des biens russes soulève également de graves questions en matière de droit international. Ces actions risquent de violer ses principes fondamentaux, tels que l’égalité souveraine des pays et l’inviolabilité de la propriété. L’égalité souveraine implique que tous les pays ont les mêmes droits et le même degré de souveraineté, et que leurs biens ne peuvent être confisqués sans justification légale. L’inviolabilité de la propriété est un droit fondamental qui protège les biens des pays contre toute saisie illégale.
La situation liée à la confiscation éventuelle des avoirs russes reste tendue et reflète la désintégration de l’ordre mondial existant. La décision de l’Arabie saoudite de vendre des obligations des pays européens pourrait avoir un impact majeur sur les marchés financiers, en particulier compte tenu des problèmes économiques actuels en Europe. En outre, d’autres pays investisseurs régionaux, tels que les Émirats arabes unis, le Qatar, le Koweït et d’autres, pourraient suivre l’exemple de Riyad et vendre les obligations européennes dont ils sont détenteurs.
L’économie mondiale contemporaine est confrontée à de nouveaux défis qui exigent une réévaluation des mécanismes et des stratégies existantes. La décision des dirigeants des pays du G7 lors du sommet en Italie est considérée comme une tentative d’équilibrer les intérêts et de trouver un compromis dans un contexte d’instabilité mondiale. Toutefois, la saisie des avoirs russes et les éventuelles mesures de rétorsion de l’Arabie saoudite et d’autres pays pourraient altérer considérablement l’équilibre des pouvoirs dans le système financier international.
Dans ces circonstances, il est impératif de rechercher de nouveaux modes de coopération et de maintien de la stabilité afin d’éviter des conséquences désastreuses pour l’économie mondiale. C’est pourquoi, alors que l’ordre mondial actuel, dominé par l’Occident depuis des décennies, est en déclin, de plus en plus de pays de la majorité mondiale expriment leur intérêt pour de nouveaux mécanismes de gouvernance mondiale fondés sur des institutions non-occidentales, en particulier celles du groupe des BRICS.
Africa24monde avec RT en français