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© Alors qu'il n'a pas réclamé le soutien du parti islamiste Ennahdha, Kais Saied n'a pas manqué de bénéficier du vote des électeurs de ce parti, entre autres citoyens qui ont appuyé le dégagisme dont les partis traditionnels ont été les victimes. © Chedly Ben Ibrahim / NurPhoto
A 61 ans, alors qu'il est sans parti, ce professeur de droit constitutionnel veut modifier en profondeur la structure institutionnelle du pays. Il prêtera serment le 30 octobre.
Un petit appartement en guise de quartier général, son frère Naoufel pour principal contact : Kais Saïed aura gagné Carthage avec peu de moyens apparents. Depuis la rue Ibn Khaldoun, centre de Tunis, voici ce janséniste du droit en route pour le palais présidentiel.
Palais qui compte plus de trois cents pièces et une garde présidentielle de 2900 hommes. Ses partisans ? Une jeunesse éduquée à qui on a refusé l'accès à l'ascenseur social. Ce soir, une conférence de presse a dû être organisé dans un hôtel situé à proximité de l'Ambassade de France, au coeur de la capitale. Il faut gérer l'affluence. Avec un score solide, plus de 72,5 % selon les chiffres sortis des urnes de l'Institut Emrhod, 76,9 % selon Sigma Conseil, sa victoire n'est pas une totale surprise. Il n'était plus un outsider depuis des mois. Voire des années.
Dans sa ligne de mire : le parlement
Le train Saïed n'a jamais changé de direction. Cet apôtre du droit, de la loi et de la constitution, martèle les mêmes idées de journal télévisé en cafés. Sur un ton saccadé, ce qui lui vaut le surnom de « Robocop », droit comme un i, économe de ses émotions, il veut l'application de la loi pour et par le peuple. Il souhaite renverser la pyramide des pouvoirs en défaisant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Il veut que les députés soient désormais élus par des conseils d'élus locaux afin de rapprocher le peuple du pouvoir. Pour cela, il lui faudra un vote favorable du parlement.
Lors du débat télévisé qui l'a opposé à Nabil Karoui, il a expliqué qu'en cas de refus, ce serait « au parlement d'assumer ses responsabilités ». Que voulait-il dire ? Mystère. L'homme a ses parts d'ombre. En ayant refusé de fonder un parti, d'accepter officiellement des soutiens, en opposant « le peuple » aux partis, à l'Etat, Kaïs Saïed joue une partition radicale. « C'est un juridisme plébéien », résume Michael Ayari, senior analyste chez ICG (International Crisis Group).
Les significations d'un plébiscite
Sa large victoire signifie un vaste rejet de la situation politique toxique qui prédomine en Tunisie depuis 2014, de la corruption généralisée et de la marginalisation d'une partie de la population. Il est pour la peine de mort, la poursuite de la criminalisation des homosexuels et contre l'égalité homme-femme devant l'héritage. Il assume son conservatisme, jugeant que la société tunisienne l'est et qu'il est inutile de l'embarquer dans des débats hors-de-propos, de perdre du temps sur ce sujet. Désormais président, il représentera la Tunisie dans les cénacles internationaux.
Saura-t-il se départir de sa rigidité idéologique pour composer avec ses homologues internationaux ? Celui qu'on désigne comme son directeur de campagne officieux, Ridha « Lénine », est un homme venu de l'extrême-gauche comme son surnom l'indique. La diplomatie tunisienne, constante depuis la doctrine Bourguiba, une neutralité positive, va-t-elle modifier ses axes ? Les réponses n'ont pas encore été fournies par le candidat Saïed.
Son adversaire emprisonné puis libéré in extremis
Depuis qu'il s'est déclaré officiellement candidat, l'homme a toujours été l'un des deux favoris du scrutin. Avec l'autre nouveau venu, Nabil Karoui, fondateur de Nessma TV. Ils se sont retrouvés, comme prévu par les instituts de sondages, en finale de la présidentielle. La mise en détention de l'homme de médias, à trois semaines du premier tour, aura modifié la donne. Karoui estime avoir perdu « dix points » aux législatives et plus encore pour la course à Carthage.
Quand la Cour de cassation a ordonné sa libération, il ne restait que 48 heures avant la fin de la campagne officielle. Les jeux étaient quasi faits. Les sondages qui circulaient dans Tunis depuis plusieurs jours attestaient de la dynamique en faveur de Kaïs Saïed. Karoui sorti de prison mercredi soir, on pouvait avoir l'apparence d'une élection normale. On a pu photographier le candidat Karoui votant ce dimanche matin. Une enquête interne à la justice permettra de comprendre ce qui s'est passé le 23 août. « Ça été la campagne la plus sale depuis 2011 », résumait ce soir un ancien dirigeant de Nidaa Tounes. Kaïs Saïed n'y est pour rien. Sa stratégie d'homme qui ne demande rien, ne veut rien, se méfie de la classe politique, s'avère payante pour emporter l'élection. Mais dès sa prestation de serment, il devra faire de la politique. Composer avec les autres forces. Car, en Tunisie, le président de la République a des pouvoirs limités.
Relations internationales : vers une rupture de la doxa Bourguiba ?
Le nouveau président de la République évoluera dans un système à dominante parlementaire. Ses pouvoirs, définis par la constitution de 2014, sont de trois ordres : les Affaires étrangères, la Défense et le Conseil de sécurité national. Saïed, courtois mais peu rôdé à la diplomatie, professeur de droit habitué aux cours magistraux, devrait détonner dans le paysage ouaté des relations internationales. C'est aussi un résultat clé pour un Maghreb mécontent de ses gouvernants. Alger et Rabat scrutaient avec attention la présidentielle tunisienne. Le visage du futur président, son profil politique et idéologique, pourrait avoir des répercussions chez eux. L'Algérie est en proie à des manifestations de masse depuis plus de sept mois. Et au Maroc, le Hirak n'a pas dit son dernier mot. La figure austère mais probe de Kaïs Saïed pourrait séduire et faire des émules. Son conservatisme aidera. Un nationalisme-arabe accolé au Coran.
Un partage mouvant des pouvoirs
« Après le silence électoral, une diète politique nous ferait le plus grand bien », s'amusait un vendeur de bijoux. Depuis des mois, mai pour être précis, le pays parle politique du matin au soir. « Même sous la douche, on continue à parler » disait, vaguement écoeuré, un loueur de voiture. Comme une gueule de bois démocratique. Le soliloque matutinal risque pourtant de perdurer. Si la séquence électorale se referme ce soir, avec l'élection de Kaïs Saïed à la présidence de la République, les tractations politiques ne font que commencer. Le partage politique des pouvoirs, entre l'Assemblée, la présidence et la Kasbah, risque de s'enliser dans des conflits politiques.
Aucune majorité ne se dessine à l'ARP. Seule Ennahdha, le parti islamiste, bénéficie de quelques cartes. Ils sont le premier groupe au parlement, 52 députés (la majorité requiert 109) et ont soutenu au second tour Kaïs Saïed, le vainqueur de la présidentielle. S'il veut appliquer son programme, Kaïs Saïed va devoir faire de la politique, s'entourer, composer une équipe à la présidence de la République, choisir un ministre des Affaires étrangères, un ministre de la Défense. Après le plébiscite, le quotidien du pouvoir.
Par Africa24monde Avec lepoint - correspondant à Tunis, Benoît Delmas